Les Forges (saison 1)
Episode 4 - Des gens
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C’est un cylindre profond d’une dizaine de mètres. On y accède par une étroite porte étanche à sa base tandis qu’au sommet une baie d’observation offre à l’équipe technique une vue plongeante sur la zone de ‘lancement’. Les parois à l’intérieur sont blanches et percées de néons qui baignent tout l’espace d’une lumière clinique. Une partie du plafond est couverte d’équipements de mesure, de sondes, de caméras et de spectromètres de toutes sortes greffés les uns sur les autres et noyés dans un amas de fils qui les relient à la salle de contrôle. Vesle est penché à la baie, une main massant son front tandis que, derrière lui, Severn et trois autres membres de l’équipe s’agitent autour des écrans. Le matériel informatique ne semble pas tout à fait à la hauteur du projet que Vesle porte à bout de bras depuis tant d’années. Peu lui importe. Le vrai problème, il le sait, n’est pas l’enregistrement des données mais leur analyse. Severn a été recruté pour ça.
« Quelque chose ? » lance-t-il sans enthousiasme. Les premiers résultats n’arrivent jamais avant plusieurs heures.
« Que dalle, » lui répond Severn. « Le Koblenz chauffe encore. Il faut vérifier les combinaisons mais je ne vois pas pourquoi elles nous en apprendraient plus que ce qu’on a déjà ici. »
Vesle regarde à nouveau à travers la baie : le sas vient d’être ouvert et des techniciens y pénètrent pour nettoyer la zone. Il n’y a pas beaucoup d’espace et les deux hommes et la femme manoeuvrent avec précaution. Tout autour d’eux, le mur circulaire et le sol concave sont recouverts de symboles tracés au noir. L’équipe prend des clichés supplémentaires ; l’expérience leur a démontré que les capteurs sophistiqués au-dessus de leurs têtes ne voient pas tout. La femme s’immobilise un instant : à ses pieds se trouvent les deux épaisses combinaisons ocre reliées au mur par des cordons gainés d’orange. Et si Bisenzio et Caliban ne s’y trouvent plus depuis 18 minutes -- c’est ce qu’indique le chronomètre sur l’écran à son poignet -- elle ne peut s’empêcher de leur trouver un aspect morbide ; comme s’ils étaient toujours à l’intérieur. Comme s’ils étaient morts.
« Faites vite, Ru ! Même si ça n’est jamais arrivé, ils pourraient revenir à leur point de départ, » lui rappelle Severn par l’intercom. Puis il se tourne vers Vesle : « la vidéo est plus dure à nettoyer que d’habitude. On dirait que plus il y a de masse, plus le lancement produit d’interférences. Les bandes sont saturées d’EMI. Il faudra améliorer le blindage. De la fibre NCG et du composite. J’ai déjà rédigé une note. »
Vesle hoche la tête, mais il n’arrive pas à se projeter aussi loin. De nouveaux blindages, de nouveaux frais ; Severn fait sans doute semblant d’ignorer les répercussions qu’aurait un accident sur le projet. Ils ont perdu des singes au tout début des tests. Huit en tout. Il a réussi à n’en déclarer que cinq et c’était déjà beaucoup trop pour le comité. La tristesse de perdre un précieux collaborateur ne serait rien en comparaison des représailles administratives et sans doute judiciaires auxquelles ils auraient à faire face s’il arrivait le moindre malheur à Bicenzio.
« Et ce bon à rien devra maigrir pour la prochaine fois. On pourra comparer, » ajoute Severn avec une malice qui dissimule assez mal l’inquiétude grandissante qui s’empare également de lui à mesure que les minutes passent.
Les minutes puis les heures.
Il est plus de 16h30 quand Mézel fait enfin son rapport : Bisenzio a été retrouvé en pleine nature, nu comme un ver et inconscient. Il souffre apparemment d’une contusion à la tête -- peut-être une chute -- ainsi que d’une légère insolation. Il s’est passé plus de 6 heures depuis le lancement.
« Et Caliban ? » demande Vesle.
« Aucune trace du singe pour le moment mais il aurait été aperçu à l’autre bout de la vallée, » lui répond la voix martiale à l’autre bout du fil. « Mes hommes doivent me confirmer le contact d’ici vingt-cinq minutes. Il faudra aussi lancer une procédure Presse, » ajoute-t-il. « Il y avait un journaliste de Paris qui posait des questions et qui a pris des photos. »
« Je m’en occupe, » enchaîne Vesle avec une grimace. Il ne manquait plus que ça.
« Et, Monsieur… »
Vesle sait reconnaître un militaire sur le point de dire quelque chose qui l’embarrasse et qui dépasse le strict cadre de sa mission et de la procédure. Instinctivement il fait claquer ses doigts à l’attention de Severn, qui s’est remis à l’analyse dès qu’ils ont appris que Bisenzio allait bien, et branche le haut-parleur.
« …Bicenzio insiste pour que je vous fasse part immédiatement de ce qu’il a vu là-bas. Il dit que ça ne peut pas attendre. Il est agité mais les médecins m’ont certifié qu’il ne délirait pas…»
Vesle, Severn et Ru qui les a rejoints sont suspendus à ce qu’il va dire.
« Il ne se souviens quasiment de rien… sauf qu’il a vu des gens qui-- »
« Des gens ? » interrompt Severn.
« Oui. Et ils lui auraient dit quelque chose comme : ‘Vous n’avez rien à faire aux Forges.’ »
« Des gens, » Vesle répète machinalement, un large sourire aux lèvres.
« Les Forges, » marmonne Severn. Ca fait beaucoup d’informations d’un seul coup. Si ce fichu Bicenzio n’a pas lâché la rampe, il y a donc une étape avant le retour. Il y a même des ‘gens’. Et quand il y a des gens, il y a systématiquement des problèmes…
« Quelque chose ? » lance-t-il sans enthousiasme. Les premiers résultats n’arrivent jamais avant plusieurs heures.
« Que dalle, » lui répond Severn. « Le Koblenz chauffe encore. Il faut vérifier les combinaisons mais je ne vois pas pourquoi elles nous en apprendraient plus que ce qu’on a déjà ici. »
Vesle regarde à nouveau à travers la baie : le sas vient d’être ouvert et des techniciens y pénètrent pour nettoyer la zone. Il n’y a pas beaucoup d’espace et les deux hommes et la femme manoeuvrent avec précaution. Tout autour d’eux, le mur circulaire et le sol concave sont recouverts de symboles tracés au noir. L’équipe prend des clichés supplémentaires ; l’expérience leur a démontré que les capteurs sophistiqués au-dessus de leurs têtes ne voient pas tout. La femme s’immobilise un instant : à ses pieds se trouvent les deux épaisses combinaisons ocre reliées au mur par des cordons gainés d’orange. Et si Bisenzio et Caliban ne s’y trouvent plus depuis 18 minutes -- c’est ce qu’indique le chronomètre sur l’écran à son poignet -- elle ne peut s’empêcher de leur trouver un aspect morbide ; comme s’ils étaient toujours à l’intérieur. Comme s’ils étaient morts.
« Faites vite, Ru ! Même si ça n’est jamais arrivé, ils pourraient revenir à leur point de départ, » lui rappelle Severn par l’intercom. Puis il se tourne vers Vesle : « la vidéo est plus dure à nettoyer que d’habitude. On dirait que plus il y a de masse, plus le lancement produit d’interférences. Les bandes sont saturées d’EMI. Il faudra améliorer le blindage. De la fibre NCG et du composite. J’ai déjà rédigé une note. »
Vesle hoche la tête, mais il n’arrive pas à se projeter aussi loin. De nouveaux blindages, de nouveaux frais ; Severn fait sans doute semblant d’ignorer les répercussions qu’aurait un accident sur le projet. Ils ont perdu des singes au tout début des tests. Huit en tout. Il a réussi à n’en déclarer que cinq et c’était déjà beaucoup trop pour le comité. La tristesse de perdre un précieux collaborateur ne serait rien en comparaison des représailles administratives et sans doute judiciaires auxquelles ils auraient à faire face s’il arrivait le moindre malheur à Bicenzio.
« Et ce bon à rien devra maigrir pour la prochaine fois. On pourra comparer, » ajoute Severn avec une malice qui dissimule assez mal l’inquiétude grandissante qui s’empare également de lui à mesure que les minutes passent.
Les minutes puis les heures.
Il est plus de 16h30 quand Mézel fait enfin son rapport : Bisenzio a été retrouvé en pleine nature, nu comme un ver et inconscient. Il souffre apparemment d’une contusion à la tête -- peut-être une chute -- ainsi que d’une légère insolation. Il s’est passé plus de 6 heures depuis le lancement.
« Et Caliban ? » demande Vesle.
« Aucune trace du singe pour le moment mais il aurait été aperçu à l’autre bout de la vallée, » lui répond la voix martiale à l’autre bout du fil. « Mes hommes doivent me confirmer le contact d’ici vingt-cinq minutes. Il faudra aussi lancer une procédure Presse, » ajoute-t-il. « Il y avait un journaliste de Paris qui posait des questions et qui a pris des photos. »
« Je m’en occupe, » enchaîne Vesle avec une grimace. Il ne manquait plus que ça.
« Et, Monsieur… »
Vesle sait reconnaître un militaire sur le point de dire quelque chose qui l’embarrasse et qui dépasse le strict cadre de sa mission et de la procédure. Instinctivement il fait claquer ses doigts à l’attention de Severn, qui s’est remis à l’analyse dès qu’ils ont appris que Bisenzio allait bien, et branche le haut-parleur.
« …Bicenzio insiste pour que je vous fasse part immédiatement de ce qu’il a vu là-bas. Il dit que ça ne peut pas attendre. Il est agité mais les médecins m’ont certifié qu’il ne délirait pas…»
Vesle, Severn et Ru qui les a rejoints sont suspendus à ce qu’il va dire.
« Il ne se souviens quasiment de rien… sauf qu’il a vu des gens qui-- »
« Des gens ? » interrompt Severn.
« Oui. Et ils lui auraient dit quelque chose comme : ‘Vous n’avez rien à faire aux Forges.’ »
« Des gens, » Vesle répète machinalement, un large sourire aux lèvres.
« Les Forges, » marmonne Severn. Ca fait beaucoup d’informations d’un seul coup. Si ce fichu Bicenzio n’a pas lâché la rampe, il y a donc une étape avant le retour. Il y a même des ‘gens’. Et quand il y a des gens, il y a systématiquement des problèmes…
***
« Je vous laisse vous reposer. A tout à l’heure. »
L’infirmière sort de la chambre sans bruit et laisse la vielle femme à son apathie. La maladie, après avoir épuisé les derniers souvenirs, a éteint depuis peu la maigre chaleur qui réchauffait parfois ses traits le jour des visites.
Jusqu’à ce soir.
D’habitude, Etel ne regarde jamais la fenêtre. Elle ne regarde jamais rien. Ni le mur, ni les photos sur la commode.
Ce soir, Etel a les yeux fixés sur la fenêtre de sa chambre ; celle qui donne sur les jardins. Les arbres frottent parfois contre les montants quand le vent est fort. Etel regarde le singe qui vient de surgir des les feuillages de l’autre côté de la vitre. Il utilise sa main libre pour dessiner quelque chose sur le verre. Etel connait ce signe et se trouve subitement submergée. Et quand le singe a disparu, elle pleure encore. Non pas parce qu’elle se souvient de ce que ce signe représente mais parce qu’elle sait que demain elle l’aura oublié.
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( la suite au prochain épisode )
Chers lecteurs, soyez indulgents avec ma prose et respectueux de mes droits. Merci.
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